🔎 État des lieux du marché
Le marché français des engrais azotés connaît depuis début mars 2025 une phase de relative détente après avoir atteint des sommets historiques. L’urée vrac portuaire s’est hissée jusqu’à 480 €/t, tandis que le SOLAZ a touché 340 €/t. Cette flambée a conduit de nombreux agriculteurs à différer leurs achats dans l’attente d’une accalmie. Aujourd’hui, la correction est amorcée avec des prix revenus autour de 460 €/t départ pour l’urée et 470 €/t vrac culture pour l’ammonitrate 33,5.
Cependant, cette apparente stabilisation cache des tensions structurelles importantes. La production nationale d’engrais azotés ne couvre qu’environ 35 % des besoins français, rendant le pays fortement dépendant des importations. Cette dépendance est encore accentuée par la montée spectaculaire des volumes en provenance de Russie, qui ont atteint 750 000 tonnes en 2023-2024, soit une hausse de 86,6 % par rapport à 2021. Ce chiffre alimente les inquiétudes du secteur face aux risques géopolitiques et à la fragilité de l’approvisionnement.
Le contexte énergétique participe également à cette situation contrastée : le prix du gaz reste stable, autour de 46,85 €/MWh, bien inférieur aux niveaux de crise de 2022, ce qui soutient le maintien de la production européenne. Mais cette stabilité reste fragile, comme en témoigne la légère hausse de +5 €/MWh observée cette semaine.
Du côté de la demande, la prudence domine. Un sondage Terrenet révèle que 50 % des agriculteurs n’ont pas encore couvert l’ensemble de leurs besoins, et 10 % d’entre eux restent exposés à plus de 50 % de couverture restante. Cette réserve s’explique par des trésoreries fragiles après une moisson 2024 décevante et par une baisse structurelle de la consommation d’azote, accentuée par la montée des pratiques alternatives (engrais organiques, outils de précision).
À l’international, la situation est contrastée : les prix mondiaux restent fermes, avec l’Égypte à 425 $/t FOB (soit 453 €/t vrac Pallice) et des perspectives de demande soutenue en Inde, tandis que les périodes d’épandage calment temporairement les flux. Peu de navires sont attendus pour mars-avril en France, ce qui pourrait relancer la tension si les achats reprennent rapidement.
Les 3 facteurs haussiers du moment
🔺 Disponibilité limitée pour les réapprovisionnements de fin de campagne
À l’approche des derniers apports azotés, le faible nombre de bateaux attendus sur mars-avril crée un risque logistique important. En cas de réveil soudain de la demande, notamment pour sécuriser les apports de dernière minute, les tensions pourraient rapidement s’accentuer, surtout dans les zones éloignées des ports.
🔺 Contexte international tendu avec des prix à la hausse
L’Inde, qui a sécurisé seulement 588 000 tonnes lors de son dernier appel d’offres (contre 1,5 Mt attendues), pourrait revenir massivement sur le marché. Si ce scénario se confirme, il soutiendrait les prix mondiaux et rejaillirait sur le marché européen, dans un contexte où l’Égypte et le Moyen-Orient affichent déjà des niveaux élevés.
🔺 Pression réglementaire avec les taxes douanières à venir
À partir de juillet 2025, l’UE prévoit l’application progressive de taxes sur les engrais russes, dont l’urée. La Russie représentant 15 % des importations européennes, ces mesures pourraient provoquer un effet d’anticipation et des achats massifs avant l’échéance, soutenant temporairement les prix.
Les 3 facteurs baissiers du moment
🔻 Une demande agricole française encore timorée
Malgré des prix en légère baisse, la demande reste modeste. Les agriculteurs, confrontés à des trésoreries tendues et à des rendements 2024 en retrait, temporisent et priorisent des stratégies de couverture progressive, limitant ainsi la pression immédiate sur les prix.
🔻 Un coût du gaz stabilisé à des niveaux bas
Le maintien du gaz sous les 47 €/MWh permet aux usines européennes de tourner sans difficulté majeure, évitant ainsi des fermetures ou des baisses de production qui viendraient déséquilibrer l’offre et provoquer une flambée des prix.
🔻 Une parité euro/dollar favorable aux importations
Avec un euro autour de 1,0404 $, le coût des importations reste contenu. Cette parité avantageuse amortit l’impact des hausses internationales et limite la transmission intégrale des hausses mondiales au marché français.
🔍 Notre sentiment de marché
Le marché français des engrais azotés reste sous surveillance. Si la tendance récente est à la détente des prix, les fondamentaux de fond restent fragiles et la possibilité d’un retournement rapide n’est pas à exclure. Les risques haussiers sont bien identifiés : demande indienne potentiellement forte, faibles arrivages pour mars-avril et dépendance croissante aux flux russes. À cela s’ajoute l’incertitude réglementaire liée aux futures taxes douanières, qui pourrait accélérer la tension sur les volumes disponibles.
Dans ce contexte, nous anticipons des prix oscillant entre 455 et 460 €/t pour l’urée vrac départ, avec une relative stabilité possible à court terme, mais une vigilance accrue à tenir jusqu’à la fin des apports. L’ammonitrate 33,5 pourrait quant à lui se maintenir autour de 470 €/t, sauf choc externe majeur.
Pour les agriculteurs, la prudence reste de mise. Face à un marché potentiellement très réactif, il est recommandé d’ajuster progressivement sa couverture et de suivre de près l’évolution des flux internationaux et des annonces réglementaires, notamment en lien avec la Russie.